« Je gagne 1.200 euros par mois, et à Madrid, il n’y a pas d’appartement à moins de 1.000 euros par mois, même avec un salaire je suis condamnée à rester chez mes parents », s’indigne Lucia Fernandez, une ingénieure industrielle de 24 ans, fraîchement diplômée. « Si je prends une chambre en colocation à 600 euros, cela veut dire que je n’aurai jamais les moyens d’économiser pour avoir accès à un appartement à moi ? » demande-t-elle. Ils étaient des dizaines de milliers à manifester dimanche dans les rues de Madrid, pour protester contre la hausse des loyers et l’absence de logements à prix accessibles.
Alors que l’Espagne, vent en poupe, s’affirme comme l’une des économies les plus dynamiques de l’Union européenne, elle est toujours poursuivie par ses vieux démons : les bas salaires, le fort taux de chômage et la difficulté des jeunes à entrer sur le marché du travail. Le pays, qui avait centré durant des années ses aides au logement sur l’accès à la propriété, est aussi en train de payer des décennies de manque d’investissement dans le parc locatif public. Il est à la traîne avec 2,5 % de logement sociaux seulement, contre 16,8 % en France ou 9,3 % en moyenne en Europe.
« Grève des loyers »
Plus qu’ailleurs encore, l’accès à la location est un parcours du combattant. Les loyers flambent, ils ont augmenté de plus de 15 % en un an à Madrid, tandis que l’offre locative diminue, ponctionnée par l’essor des locations touristiques. Les difficultés de logement affectent de plus en plus les classes moyennes, repoussées loin en périphérie.
Ce sont les jeunes qui mènent la bataille. Ils dénoncent « l’avarice des propriétaires » et appellent à une « grève des loyers ». « Le logement est un droit, pas une marchandise », scandaient-ils dans les rues de la capitale, en dénonçant la passivité des administrations publiques.
« On nous paye au lance-pierre, on nous dit qu’on a la chance de vivre chez nos parents, et on nous traite d’enfants gâtés. Ensuite sûrement on s’étonnera que notre génération ne fasse pas d’enfants », proteste Rocio Bermejo, 27 ans, éditrice en animation 3D. Et elle avertit : « C’est comme ça qu’avait commencé le mouvement des Indignés, en 2011. »
Face à cette montée de la colère, le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez a multiplié les effets d’annonce depuis deux ans. Promettant successivement un contrôle des loyers, la reconversion du patrimoine immobilier de l’Etat en logements sociaux, la mise sur le marché de plus de 100.000 nouveaux logements à prix accessibles et l’objectif d’atteindre 20 % de logements sociaux.
Il manque 60,000 logements par an
« Nous donnons un coup de pouce au secteur public pour la construction de logements locatifs, avec 4 milliards d’euros du plan de relance, qui s’ajoutent à 2 autres milliards de garanties pour le logement, à travers l’institut de crédit officiel », détaille ainsi le ministre de l’Economie, Carlos Cuerpo. Mais tout ça pour quand ? Selon les calculs de la Banque d’Espagne, le pays souffre d’un déficit de 60,000 logements par an, et le parc de logements sociaux réduit à l’extrême aggrave la pénurie.
Dans la rue, les manifestants réclament un plafonnement des loyers dans les zones tendues, suivant les recommandations de la loi logement votée en 2023. Mais celle-ci est difficilement applicable car, décentralisation oblige, ce sont les régions qui ont la clé des politiques de logement. Or elles sont majoritairement gouvernées par le principal parti d’opposition, le Parti populaire, hostile à une intervention sur le niveau des loyers.