On le surnomme “le Mykonos de Minorque”. Sur la deuxième île des Baléares, à une dizaine de kilomètres de sa capitale Port Mahon, le village côtier de Binibeca Vell dévoile une série de ruelles étroites et sinueuses, que bordent des habitations blanches comme échappées des îles de Cyclades. Un vrai paysage de carte postale méditerranéenne, qui vaut à la destination d’être régulièrement promue sur les réseaux sociaux. Les chiffres confirment cette popularité : si sa population locale est de 220 habitants, Binibeca Vell attire chaque année pas moins de… 800,000 visiteurs.
“Cette fréquentation a rendu la cohabitation entre touristes et riverains de plus en plus compliquée ”, explique le média espagnol El Economista. ” C’est pourquoi, depuis le 1er mai, les visites dans les rues intérieures du quartier ont été restreintes : l’accès à celles-ci n’est possible qu’entre 11 et 20 heures.”
L’Espagne, bientôt la destination la plus touristique au monde
Selon un récent rapport de Google et Deloitte, l’Espagne devrait devenir, d’ici 2040, la première destination touristique au monde. Les îles Baléares contribuent à cette attractivité, rappelle le quotidien britannique The Telegraph : Majorque et Ibiza ont attiré respectivement 17 et 3,5 millions de visiteurs en 2023. Minorque, moins prisée, a reçu 1,5 million de curieux. Un chiffre plus modeste, mais qui permet un calcul simple et vertigineux : plus d’une personne sur deux ayant visité Minorque a fait étape à Binibeca Vell.
Ces visiteurs, sans doute, espéraient trouver là l’authenticité d’une bourgade balnéaire. Si l’ensemble peut faire illusion sur Instagram, la réalité est différente. Présenté comme un traditionnel village de pêcheurs, Binibeca Vell est purement artificiel. Sorti de terre en 1964, il fuit imaginé par un duo, constitué du géomètre Antonio Sintes Mercadel et de l’architecte Francisco Juan Barba Corsini. “Leur souhait”, explique The Telegraph, ”était de reproduire là un village de pêcheurs typique des îles grecques, comme ceux qu’on trouve à Santorin ou Mykonos. Ils ont donc imaginé un village constitué de maisons blanchies à la chaux, blotties les unes contre les autres. Le tout, surplombant la mer.”
Au cœur de Binibeca Vell, on trouve aujourd’hui un ensemble de 165 maisons réparties sur 8,000m2, répondant au nom de “El Poblado de Pescadores” (“le village des pêcheurs”). Peu importe qu’il n’y ait là aucun pêcheur, la formule fait le job…“Il n’y a rien d’ancien, d’authentique ou de quoi que ce soit qui ait un rapport avec la pêche ici”, analyse The Telegraph.” C’est juste un lieu aseptisé avec tout l’attirail balnéaire, une boutique de souvenirs, un supermarché et quelques restaurants et cafés…”
Instagram, dynamiteur du tourisme
Reste que Binibeca Vell continue d’attirer les milliers de curieux, séduits par les innombrables photographies mises en ligne sur Instagram : en quatre ans, le nombre de messages postés sous le hashtag Binibeca y a presque doublé, pour atteindre 61 600.
Cette surexposition a de quoi exaspérer les riverains, qui déplorent les nuisances sonores, l’amoncellement des ordures et les allées et venues incessantes des autocars. Après la restriction des horaires de visite décidée en mai, les habitants, explique le média espagnol El Diario, sont invités à voter le 10 août prochain pour choisir de bloquer définitivement, ou non, l’accès aux touristes.
La proposition divise la population locale : les premiers prônent un retour à la tranquillité, les seconds, constitués en grande partie de commerçants, revendiquent leur dépendance au tourisme. Le cas du village de Binibeca est loin d’être isolé : partout dans le monde, les mesures se multiplient pour réguler la fréquentation des sites touristiques, suscitant des polémiques.
Quant à l’authenticité discutable du village, celle-ci rappelle un autre projet, plus artificiel encore : il y a quelques mois, un complexe hôtelier conçu sur le modèle du village de Santorin ouvrait ses portes à Abu Dhabi pour attirer les visiteurs fortunés…