Oubliez les crèmes anti-rides : pour rajeunir de huit ans, il vous suffit de réserver un billet d’avion pour l’Éthiopie. Le 11 septembre prochain, la population éthiopienne fêtera en effet la fin de l’année…2016. Le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique a un “retard” de sept ans et huit mois sur le reste du monde. Ce décalage ne date pas d’hier.
“En Éthiopie, l’année de naissance de Jésus-Christ est décalée de sept ou huit ans par rapport au calendrier grégorien, ou “occidental”, introduit par le pape Grégoire XIII en 1582″, explique CNN. Selon les experts, l’Église romaine aurait ajusté son calcul en 500 de notre ère, tandis que l’Église orthodoxe éthiopienne a choisi de s’en tenir aux dates anciennes.
“Nous sommes uniques”, confirme Eshetu Getachew, P.-D.G. de l’agence de voyages Rotate Ethiopia Tours And Travel. ”Nous n’avons jamais été colonisés. Nous avons notre propre calendrier. Nous avons notre propre alphabet et nous avons nos propres traditions culturelles.”
Le calendrier éthiopien présente de nombreuses similitudes avec le calendrier de l’Église copte orthodoxe d’Alexandrie en Égypte. Le dispositif est assez complexe, qui s’articule autour d’un système solaire-lunaire et s’étend sur treize mois, détaille BBC News Afrique. Douze d’entre eux durent trente jours, tandis que le derniermne compte que cinq jours, ou six lors d’une année bissextile.
Le passage à la nouvelle année, en outre, a lieu le 11 septembre : la date marque la fin de la saison des pluies et le début de la saison des récoltes. “Je sais que c’est un mauvais jour pour le monde, analyse le photographe Abel Gashaw, faisant référence aux attentats de 2001. Mais le calendrier éthiopien fonctionne ainsi.”
Ce calendrier différent a une drôle de conséquence : les touristes qui visitent l’Éthiopie s’offrent sans le savoir un voyage dans le temps. Sur place en revanche, les choix divergent selon les situations : si les écoles internationales et entreprises ont tendance à se caler sur le calendrier grégorien, les habitants sont nombreux à utiliser simultanément celui-ci et le calendrier occidental.
“C’est très difficile ”, témoigne à CNN l’archéologue éthiopien Goitom W. Tekle, actuellement basé en Allemagne. ”Je n’arrive toujours pas à basculer d’un calendrier à l’autre. C’est un vrai défi : il me faut penser aux heures, aux jours. Parfois aux mois et même à l’année.”
Un système horaire également différent
Car en plus d’un calendrier singulier, l’Éthiopie possède son propre système horaire, qui s’explique par la proximité du pays avec l’équateur. La chose est encore plus complexe que le fuseau horaire décalé adopté par l’Inde. La durée du jour et de la nuit restant quasiment la même toute l’année, le pays fonctionne sur un système de deux blocs de douze heures, le premier bloc (les douze heures de jour) commençant lorsqu’il est six heures du matin en France.
Lorsqu’il est midi pour les visiteurs français sur place, les Éthiopiens considèrent ainsi qu’il est six heures du matin. Tekle, d’ailleurs, veille toujours à préciser à deux reprises les horaires des rendez-vous qu’il fixe avec les visiteurs étrangers. “Si quelqu’un me dit qu’il faut qu’on se retrouve à 14h, je vérifie toujours s’il s’agit du matin ou de l’après-midi.” Même concentration lorsqu’il s’agit de réserver un billet d’avion.
Une simple demande de certificat de naissance peut aussi poser problème lorsqu’on tente de fusionner le système éthiopien et le système occidental. “Certaines variables peuvent se traduire par des anniversaires doublés ou triplés”, explique l’historienne allemande Verena Krebs, spécialisée dans l’histoire médiévale de l’Europe et de l’Afrique. Elle ajoute que le calendrier éthiopien traditionnel n’est pourtant pas le seul calendrier différent : dans l’ancien calendrier égyptien par exemple, l’année 2024 correspond à l’année 6266.
Le triomphe du capitalisme et les échanges avec les pays étrangers vont-ils mettre un terme à ces systèmes particuliers ? “L’Éthiopie est un pays chrétien très conservateur où la majorité de la population ne se préoccupe pas du reste du monde”, répond l’archéologue Tekle, qui précise que c’est particulièrement le cas dans les campagnes. “Dans certains endroits, les habitants ne savent même pas qu’il existe une autre façon de compter le temps.”
La modernisation de la société et la technologie pourraient néanmoins changer la donne, tempère l’historienne Verona Krebs. “Je sais qu’aujourd’hui, de nombreux agriculteurs possèdent déjà des smartphones. Il sera intéressant d’observer l’impact, dans les décennies à venir, du développement de la connectivité.”
Le sujet reste d’autant plus complexe que, rappelle l’archéologue Tekle, le calendrier éthiopien traditionnel n’est pas le seul à être utilisé dans le pays. Celui-ci repose en effet sur les enseignements de l’Église orthodoxe éthiopienne. Or l’Éthiopie héberge la troisième plus grande population musulmane d’Afrique subsaharienne, qui recoure donc à d’autres calendriers. “À ma connaissance, il en existe au moins deux autres qui fonctionnent dans le sud de l’Éthiopie”, conclut-il.