Si son nom est peu connu, les cinémas du monde entier doivent pourtant beaucoup à Charles Cretors. En 1891, cet Américain a conçu une machine ambulante et roulante qui permettait notamment de fabriquer… du pop-corn. 134 ans plus tard, le maïs soufflé se retrouve au cœur d’une polémique en Inde. Celle-ci, explique le Wall Street Journal, a commencé en décembre dernier lorsque le gouvernement a annoncé une politique de taxation en trois niveaux pour ce produit prisé des Indiens
Le pop-corn, sujet de discorde
Selon que celui-ci est vendu en vrac ou emballé, avec ou sans marque, ou encore sucré ou salé, les taux varient de 5 à 18 %. Le pop-corn caramélisé, considéré comme une confiserie, est par exemple taxé au taux maximum, un traitement habituellement réservé aux produits de luxe.
La ministre des Finances, Nirmala Sitharaman, a tenté de justifier cette distinction. “Le pop-corn salé, qu’il soit nature ou épicé, reste soumis à un taux de 5 %. Mais si du caramel est ajouté, il ne s’agit plus d’un produit salé.” Lorsque le pop-corn est conditionné et vendu sous une marque, le taux passe à 12 %, même pour les variétés salées.
Cette clarification n’a pas calmé les esprits. Sur les réseaux sociaux, des mèmes moqueurs et des caricatures fleurissent. Les débats s’embrasent aussi à la télévision, où les économistes dénoncent le système bureaucratique complexe en vigueur dans le pays.
Un pays, sept taxes différentes
Pour beaucoup en effet, cette affaire dépasse largement le périmètre du pop-corn et met en lumière les failles du système fiscal indien. En 2017, la réforme sur la TVA unique avait déjà eu pour ambition de simplifier un système souffrant déjà de multiples taux d’imposition. Mais celle-ci, rappelait alors Les Échos, se composait elle-même de plusieurs taux, selon les produits et services concernés. Concrètement, elle imposait 4 taux principaux, et dans les faits jusqu’à 7, allant jusqu’à 28 %.
La taxation du pop-corn n’est pas un cas isolé. Une bataille juridique de 15 ans sur la taxation de l’huile de coco, utilisée en cuisine et comme produit de beauté, a récemment pris fin. La Cour suprême a finalement tranché, statuant que la taille de l’emballage ne pouvait à elle seule justifier une différence de taxe. Dans certains États, les cerfs-volants sont soumis à un niveau de taxe selon qu’ils affichent ou non des motifs, sous prétexte qu’ils deviennent alors des produits “de luxe”.
Pour beaucoup d’observateurs, partisans d’une simplification administrative, ces multiples niveaux de taxation nuisent à l’attractivité économique de l’Inde. Mohandas Pai, ancien directeur financier d’Infosys, déplore ainsi une “manie bureaucratique de compliquer ce qui pourrait être simple”.
D’autres, toutefois, défendent la logique du gouvernement, saluant le fait que les produits accessibles aux classes populaires, comme le pop-corn en vrac, sont taxés à des taux plus bas.
Cette complexité fiscale, en tout cas, reflète la “red tape” (lourdeur réglementaire) du système indien en général. Si la langue la plus courante est l’hindi (et la langue administrative, l’anglais), le pays dénombre ainsi 22 langues officielles et plus de 500 dialectes. En raison de sa taille et de sa population (1,4 milliard d’habitants), les élections générales se déroulent souvent sur plusieurs semaines, parfois un mois entier… Ses habitants possèdent en outre plusieurs cartes d’identité officielles : Aadhaar (identité biométrique), PAN (numéro fiscal), passeport, carte de rationnement, permis de conduire… L’Inde, enfin, possède son propre fuseau horaire, décalé d’une demi-heure par rapport aux autres fuseaux internationaux.